Nouvelle avancée de la Peste Porcine Africaine (PPA) aux frontières de l’Europe : la Biélorussie atteinte
Ahead of print
Marie-Frédérique Le Potier1, Clara Marcé2
Le 21 juin 2013, les autorités sanitaires biélorusses ont notifié à l’OIE un premier foyer de Peste Porcine Africaine (PPA) dans la région de Grodno, à une quarantaine de kilomètres de la frontière Lituanienne et à environ 150 kilomètres de la frontière avec la Pologne (Figure 1). Depuis plusieurs semaines, des rumeurs circulaient sur la possible présence de PPA en Biélorussie, mais la suspicion avait été écartée lorsqu’une souche hautement virulente de SDRP avait été mise en évidence dans un élevage à Vostochny dans la région de Brest(déclaration OIE du 24/05/2013).
Cependant, quelques jours plus tard, un petit élevage de seize porcs était affecté avec un porc trouvé mort dans le village de Chapun. Le laboratoire national a confirmé le diagnostic par PCR. Tous les porcs ont été abattus et le village mis en quarantaine. Des restrictions de déplacement de porcs et un dépistage de l’infection ont été instaurés. De nouveau, le 4 juillet, un cas est notifié à l’OIE, localisé cette fois à l’est du pays, dans la région de Vitebsk, district de Nevsky. Sur les 20 611 porcs présents dans ce village, vingt-six cas dont vingt et un mortels ont été recensés et 1 089 porcs ont été abattus.
Les mêmes mesures sanitaires que pour le premier cas ont été mises en place. Les autorités lituaniennes très concernées par un risque d’introduction ont instauré une obligation de désinfection pour tout camion en provenance de Russie ou Biélorussie. La Commission européenne a effectivement rappelé aux États membres la nécessité de faire respecter scrupuleusement les procédures de nettoyage et de désinfection des véhicules en provenance ou à destination de la Russie ou de la Biélorussie telles que décrites dans la Décision 2011/78/UE du 3 février 2011. Par ailleurs, pour rappel, la Biélorussie est exclue de la liste des pays qui peuvent exporter vers l'Union européenne des produits issus d'animaux sensibles au virus de la PPA (Règlement CE n°206/2009). En conséquence, ces produits sont prohibés quel que soit leur statut, qu'ils soient introduits à des fins commerciales ou contenus dans les bagages personnels des voyageurs.
Il ne faut pas oublier que la situation sanitaire sur la partie européenne de la fédération de Russie est hors de contrôle. Après un silence prolongé, les autorités russes ont déclaré à l’OIE les 18 et 21 juin, vingt-cinq nouveaux foyers de PPA à l’extrême ouest du pays, dans les régions de Voronej (20 foyers en élevages de porcs domestiques), de Rostov (deux), Volgograd (un) et Smolensk (un foyer chez des sangliers). Dans vingt-quatre villages comptant près de 1 500 porcs, 180 cas ont été recensés, dont 94 mortels. Le 25è foyer concerne des sangliers de la région de Smolensk, zone non encore affectée par la maladie. Jusqu’ici, les sangliers étaient infectés de manière secondaire aux porcs, probablement par distribution de viande contaminée (eaux grasses). Le fait que dans ce dernier foyer des sangliers plutôt que des porcs soient trouvés infectés pose la question de la transmission du virus chez les sangliers et de leur rôle dans le maintien de l’infection et la propagation vers des élevages plein air. Un nouveau foyer impliquant des sangliers a été déclaré à l’OIE le 9 juillet 2013 dans le district de Yaroslavskaya, village de Golovino.
Epidémiologie
La PPA, décrite pour la première fois au Kenya en 1920, est traditionnellement présente en Afrique sub-saharienne. Pendant la période des années 1960-1990, la PPA a sévi dans différents pays d’Amérique centrale, d’Amérique du Sud et d’Europe, suite à l’introduction de déchets de viande de porc infectés par un isolat de génotype I (Afrique de l’Ouest). Elle a été éradiquée de ces zones, hormis en Sardaigne, où la maladie s’est endémisée (Costard et al., 2009). La description des premiers cas de PPA dans la région transcaucasienne remonte à avril 2007 quand le virus a été introduit en Géorgie par une distribution de déchets de cuisine d’un bateau en provenance d’Afrique de l’Est, le virus géorgien est similaire aux isolats du génotype II (Afrique de l’Est, Madagascar). Le virus s’est ensuite propagé par sauts, indiquant que la source d’infection était liée à une distribution d’eaux grasses. Il a ensuite progressé rapidement, puisqu’en juillet 2007 il était déjà identifié en Arménie et en novembre 2007 en Tchétchénie. Depuis 2010, l’infection s’est endémisée dans la région sud de la partie européenne de la fédération de Russie. En raison de la virulence élevée de la souche impliquée, un fort taux de mortalité était enregistré chez les porcs. Les sangliers atteints se contaminaient là encore par consommation de viande infectée et ne semblaient pas être en capacité de transmettre le virus.
Pour autant, les autorités sanitaires russes n’ont pas réussi à endiguer la progression de la maladie, comme l’a prouvé le foyer détecté en Ukraine en juillet 2012 où là encore l’origine de l’infection est très probablement liée à des déchets de viande de porc infecté . Cependant l’endémisation en cours de la maladie fait penser à une atténuation de la souche qui rend ainsi les cas plus difficiles à détecter, comme décrit en Tanzanie. Une enquête sérologique menée récemment, dans le cadre d’un jumelage OIE entre le laboratoire de référence OIE de l’université de Madrid (Espagne) et le NRIVVaM (Pokrov, Russie), a montré qu’en effet il était possible de détecter des anticorps chez certains porcs apparemment sains, ce qui signifierait une adaptation de la souche qui de fait pourrait se transmettre plus facilement d’élevage en élevage et se maintenir chez les sangliers (Arias, 2013). Cette situation est aussi à mettre en rapport avec ce qui se passe en Afrique sub-saharienne où de nouveaux foyers sont décrits régulièrement avec un rôle de réservoir de la faune sauvage mais aussi et surtout le commerce de carcasses infectées. En effet, les fermiers abattent leurs animaux malades et vont les vendre au marché . A ce jour, l’implication de tiques dans un cycle de transmission n’a pas encore été mise en évidence en Transcaucasie. Une mission de la FAO a été menée courant juin 2013, en lien avec le projet européen ASFORCE, pour former les services compétents à la recherche et à l’identification de ce genre de tiques.
Sans aller si loin, le cas de la Sardaigne est très informatif. Le virus y a été introduit depuis plus de vingt ans et après maints programmes d’éradication et une amélioration sensible de la situation, de nombreux foyers ont été détectés de nouveau ces trois dernières années dans des zones non encore déclarées comme infectées. L’atténuation de la souche et le mode d’élevage avec les porcs domestiques qui pâturent en liberté et entrent au contact des sangliers sont très probablement le facteur majeur de la persistance de l’infection, l’implication de tiques n’ayant jamais été démontrée.
Les principaux risques d’introduction dans les États membres seraient donc l’importation illégale de porcs ou sangliers en provenance des zones affectées, mais surtout le risque lié aux voyageurs (touristes ou travailleurs) qui ramènent avec eux, illégalement, des produits de charcuterie, voire des chasseurs qui ramèneraient des trophées de chasse ou rentreraient avec des bottes non nettoyées (Savey, 2012).
Suite à cette avancée de la PPA en Biélorussie, un appel à la vigilance est formulé auprès des différents acteurs du sanitaire (éleveurs, opérateurs, transporteurs, chasseurs, vétérinaires) (Note de service DGAL/SDSPA/N2013-8111).
Agent étiologique Le virus de la PPA est un virus enveloppé à ADN, seul représentant de la famille des Asfaviridiae. Ce virus est particulièrement résistant dans un milieu protéique, il peut survivre dans la viande de porc plus de trois ans au congélateur ou jusqu’à 300 jours dans du jambon sec. Il résiste aussi à la chaleur et aux désinfectants. Ce virus se transmet par contact entre porcs et /ou sangliers mais peut être aussi transmis par des tiques molles du genre Ornithodoros qui peuvent jouer le rôle d’hôte intermédiaire entre les cycles sylvatique et domestique. Diagnostic Pour confirmer un cas de PPA, un diagnostic de laboratoire est obligatoire car l’expression clinique de la maladie n’est pas différentiable de celle de la peste porcine classique, voire d’autres infections virales telles que celles dues au circovirus porcin de type 2 ou au virus du SDRP. Des techniques de diagnostic direct par détection du génome viral (PCR) ou indirect par sérologie (ELISA) permettent de lever très rapidement une suspicion. La confirmation d’un cas se base sur la réalisation combinée de différentes analyses par sérologie ou virologie dont l’isolement viral et le séquençage. |
1 : Anses – laboratoire de Ploufragan-Plouzané, France
2 : DGAl, Bureau de la santé animale, Paris, France
Liens internet utiles
Peste porcine africaine en Biélorussie sur le Centre de ressources de la Plateforme ESA
Savoir reconnaitre la peste porcine africaine (document FAO)
Références
Arias M., 2013. ASF update: An state-of-the-art, gaps and needs to improve laboratory diagnostics., Annual meeting of ASF Reference Laboratories, Brussels, 03 juin 2013.
Costard, S., Wieland, B., de Glanville, W., Jori, F., Rowlands, R., Vosloo, W., Roger, F., Pfeiffer, D.U., Dixon, L.K., 2009. African swine fever: how can global spread be prevented? Philos. T. R. Soc. B 364(1530), 2683-2696.
Gogin, A., Gerasimov, V., Malogolovkin, A., Kolbasov, D., 2013. African swine fever in the North Caucasus region and the Russian Federation in years 2007–2012. Virus Research 173, 198-203.
Khomenko, S., Beltran-Alcrudo, D., Rozstanlnyy, A., Gogin, A., Kolbasov, D., Pinto, J., Lubroth, J., Martin, V., 2013. African swine fever in the Russian Federation: Risk factors for Europe and beyond. EMPRES-WATCH 28, 1-14.
Oganesyan, A.S., Petrova, O.N., Korennoy, F.I., Bardina, N.S., Gogin, A.E., Dudnikov, S.A., 2013. African swine fever in the Russian Federation: Spatio-temporal analysis and epidemiological overview. Virus Research 173, 204-211.
Okoth, E., Gallardo, C., Macharia, J.M., Omore, A., Pelayo, V., Bulimo, D.W., Arias, M., Kitala, P., Baboon, K., Lekolol, I., Mijele, D., Bishop, R.P., 2013. Comparison of African swine fever virus prevalence and risk in two contrasting pig-farming systems in South-west and Central Kenya. Prev. Vet. Med. 110, 198-205.
Savey, M., 2012. Peste porcine africaine : émergence explosive ou globalisation silencieuse ? Virologie 16 (6), 339-341.
Uttenthal, Å., Braae, U.C., Ngowi, H.A., Rasmussen, T.B., Nielsen, J., Johansen, M.V., 2013. ASFV in Tanzania: Asymptomatic pigs harbor virus of molecular similarity to Georgia 2007. Vet. Microbiol. 165, 173-176.