Epidémiosurveillance en santé animale

Déclaration de cas humains de fièvre hémorragique de Crimée-Congo en Espagne, 2021

 

Résumé : le 19/04/2021, un cas humain de fièvre hémorragique de Crimée-Congo (CCHF) a été confirmé dans la communauté autonome espagnole de Castille-et-León, province de Salamanque. Un second cas est déclaré deux mois plus tard, le 10/06/2021, dans la province de León. Les premiers cas de transmission humaine de CCHF en Espagne avaient été détectés en 2016. Deux cas sporadiques avaient été confirmés en 2018 et trois en 2020.



 

Pour le comité de rédaction de la Plateforme ESA (par ordre alphabétique) :

Jean-Philippe Amat1, Sophie Carles2, Julien Cauchard1, Céline Dupuy1, Guillaume Gerbier3, Viviane Hénaux1, Yves Lambert3, Renaud Lancelot4, Marie-Bénédicte Peyrat3, Carlène Trévennec5

Pour le Cirad : Laurence Vial4

Pour Santé publique France : Harold Noel6

Auteur correspondant : laurence.vial@cirad.fr

 

  1. INRAE, UMR Epia, Lyon, France
  2. Anses, Unité Épidémiologie et appui à la surveillance, Lyon, France
  3. DGAL, Bureau de la santé animale, Paris, France
  4. Cirad, UMR Astre, Montpellier, France
  5. INRAE, UMR Astre, Montpellier, France
  6. Santé Publique France, Direction des maladies Infectieuses, Saint-Maurice, France

 

Source : Informations données par le Cirad – L. Vial

Situation chez l’Homme depuis 2016 en Espagne

Un cas humain de fièvre hémorragique de Crimée-Congo (CCHF) a été confirmé le 19/04/2021 dans la communauté autonome espagnole de Castille-et-León, province de Salamanque. Il s’agit d’un homme de 59 ans, agriculteur de profession (Source : Conseil de Castille-et-Leòn le 26/04/2021). Un second cas a été déclaré chez une femme le 10/06/2021 dans la province de Leòn (communauté autonome de Castille-et-León, à environ 180 km de Salamanque) (Source : Conseil de Castille-et-Leòn le 10/06/2021).

Cette maladie a été détectée pour la première fois en Espagne en 2016 (Note du 07/09/2016). Le premier cas était un homme de 62 ans (décédé) probablement contaminé par une tique au cours d'une promenade dans la campagne d’Ávila, jouxtant Salamanque. Parmi les 400 personnes contacts recensées, un seul cas secondaire avait été rapporté chez un des soignants ayant pris en charge ce patient. En 2018, un nouveau cas a été confirmé chez un homme de 74 ans, rapportant aussi des piqûres de tiques en lien avec une pratique de la chasse dans la réserve de Helechosa de los Montes, Cáceres. Un autre cas a été confirmé la même année lors d’une étude épidémiologique rétrospective (Montsalve Arteaga et al. 2020). En 2020, trois cas (dont une personne décédée) ont été rapportés entre juin et août dans la campagne de Salamanque chez des hommes, un de 53 ans et deux de 69 ans, dont l’un était agriculteur. La figure 1 présente la localisation de ces cas humains en Espagne de 2016 à 2020 (Source : Autorités espagnoles le 17/08/2020).

Les cas confirmés (sauf le cas secondaire en 2016) ont rapporté des récentes piqûres de tiques, ou une forte probabilité de piqûre de par leur activité professionnelle ou leurs loisirs (contact avec des animaux d’élevage ou la faune sauvage). Bien que la tique Hyalomma marginatum, vecteur connu de CCHF, soit présente en Espagne, il semblerait plus probable que la transmission du virus soit causée par la tique Hyalomma lusitanicum qui présente des taux d’infection supérieurs et qui parasite au stade adulte essentiellement des cerfs, dont les séroprévalences pour le virus de la CCHF sont élevées. Alors que les premiers cas étaient rapportés en août-septembre, ceux survenus en 2020 et 2021 ont été signalés bien plus tôt dans la saison à partir de juin et d’avril, respectivement. Il n’est pour l’instant pas possible de savoir si cela est dû à une amélioration du diagnostic, à un changement de dynamique de transmission ou à des conditions d’exposition différant des premiers cas.

Localisation estimée des cas humains de CCHF en Espagne

Figure 1. Localisation estimée des cas humains de CCHF en Espagne entre 2016 et 2020, et résultat de dépistage de virus CCHF sur des tiques collectées sur des animaux et dans l’environnement (Autorités espagnoles le 17/08/2020).

CCHF : maladie virale transmise par les tiques

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la CCHF est une maladie largement répandue dans diverses régions du monde, causée par un virus (Orthonairovirus) de la famille des Nairoviridae, transmis par les tiques. La maladie est endémique en Afrique, au Moyen-Orient, dans les Balkans et dans les pays asiatiques situés au sud du 50ème parallèle nord, correspondant à la limite de l’aire de distribution des tiques du genre Hyalomma, principaux vecteurs (Figure 2). La maladie se manifeste entre autres par des signes cliniques hémorragiques et un taux de létalité de 10 à 40 % chez les humains. Le virus de la CCHF est transmis à l’Homme soit directement par contact avec du sang ou des fluides corporels contaminés, soit indirectement par morsure de tiques infectées. Bien que les tiques du genre Hyalomma soient considérées comme les vecteurs majeurs du virus de la CCHF, de nombreuses espèces de tiques des genres Rhipicephalus, Amblyomma et Dermacentor sont parfois incriminées dans la transmission vectorielle du virus. 

Tiques du genre Hyalomma, vecteurs principaux

Les tiques du genre Hyalomma et en particulier H. lusitanicum et H. marginatum sont des tiques dites ditropes à deux ou trois hôtes, c’est-à-dire se gorgeant sur des types d’hôtes différents entre les stades immatures (petits vertébrés) et le stade adulte (gros ongulés) et changeant d’hôte à chaque stade ou pour la seconde restant sur le même hôte aux stades larvaires et nymphaux. Le virus de la CCHF est maintenu au sein d’un cycle enzootique entre les tiques et les hôtes vertébrés animaux, par transmission horizontale de tiques à vertébrés (et inversement) et transmission au sein même des populations de tiques (transmission transovarienne à la descendance, cofeeding par gorgement conjoint de tiques sur des hôtes non virémiques, et transmission transtadiale au cours du cycle de développement de la tique). H. lusitanicum se nourrit quasi-exclusivement sur lagomorphes aux stades immatures et sur grands ongulés sauvages (cerfs et sangliers) au stade adulte, tous ces animaux étant considérés comme de « bons » amplificateurs pour le virus de la CCHF, capables d’infecter des tiques. A l’inverse, H. marginatum diversifie davantage ses sources alimentaires, en se gorgeant sur lagomorphes mais aussi des oiseaux aux stades immatures et sur ongulés domestiques et sauvages tels que les chevaux, les bovins ou les sangliers au stade adulte. Bien qu’ils expriment quasiment tous des anticorps contre le virus de la CCHF, tous ces hôtes ne sont pas forcément capables de répliquer suffisamment le virus pour permettre sa transmission, en particulier les chevaux et les oiseaux.

Les figures 2 et 3 représentent la distribution de H. lusitanicum et H. marginatum en Europe.

Distribution de Hyalomma lusitanicum en Europe et sur le pourtour méditerranéen en mars 2021

Figure 2. Distribution de Hyalomma lusitanicum en Europe et sur le pourtour méditerranéen en mars 2021 (Source : ECDC, 2021)

Distribution de Hyalomma marginatum en Europe et sur le pourtour méditerranéen en mars 2021

Figure 3. Distribution de Hyalomma marginatum en Europe et sur le pourtour méditerranéen en mars 2021 (Source : ECDC, 2021)

Légende des figures 2 et 3 :

  • Present : L'espèce a été observée dans au moins une commune de l'unité administrative.
  • Introduced : L'espèce a été introduite dans l'unité administrative sans établissement confirmé.
  • Antic. Absent : L'espèce n'a jamais été signalée et il y a une forte probabilité qu'elle soit absente.
  • Obs. Absent : L'espèce n'a jamais été signalée au sein de l'unité administrative et il y a eu des prospections sur le terrain ou des études sur les tiques au cours des cinq dernières années à compter de la date d'état de répartition.
  • No data : Aucun échantillonnage n'a été effectué et aucune donnée sur l'espèce n'est disponible.
  • Unknown : Le statut est inconnu.



CCHF chez l’animal

Du fait de l’absence de signes cliniques chez la plupart des animaux et d’une très courte virémie (de 7 à 10 jours), les protocoles basés sur des analyses sérologiques sont les plus à même de détecter précocement (sous condition de fréquence des dépistages) le virus CCHF sur un territoire et de renseigner sur le rôle des différentes espèces animales au sein du cycle enzootique de transmission. La sérologie est d’autant plus pertinente que de nombreuses espèces animales s’avèrent réceptives au virus CCHF et développent une réponse immunitaire, avec une durée de persistance des anticorps atteignant plusieurs années voire toute la vie de l’animal. Dans les zones où le virus circule, une séropositivité a été mise en évidence chez le buffle, le dromadaire, les ruminants domestiques (bovins, ovins et caprins), l’âne, le cheval, l’autruche et les volailles (poulets et canards). Parmi la faune sauvage, une séropositivité a également été mise en évidence chez de nombreuses espèces d’oiseaux, les ongulés, lagomorphes, rongeurs…(Spengler, Bergeron, et Rollin 2016). Les bouquetins ibériques prélevés entre 2017 et 2019 dans le Sud-Catalogne (zone où la présence de tique Hyalomma n’est pas confirmée) ont montré un taux de séropositivité élevé (68%–87%), pouvant aller jusqu’à 100% certaines années (46/46 en 2019). Le programme de surveillance mené dans cette zone a montré une séropositivité moindre chez le chevreuil (1/79) et le sanglier (5/156), indiquant une probable préférence trophique de Hyalomma pour les bovidés (Espunyes et al. 2021). Le virus a par ailleurs été identifié chez le lièvre d’Europe, le hérisson, la chèvre et le bovin (Spengler, Bergeron, et Rollin 2016).

 

Situation en France

En France, toute suspicion de cas humain de CCHF relève de la déclaration obligatoire des fièvres hémorragiques virales. Le virus de la CCHF est un agent de classe 4 ce qui impose sa manipulation en laboratoire P4 et la prise en charge des patients en filière dédiée. Aucun cas humain autochtone n’a été détecté. Seul un cas importé a été rapporté en 2004 (Jauréguiberry et al. 2005).

H. marginatum a été identifiée dans les zones de garrigues ou de collines sèches de la façade méditerranéenne de plusieurs départements français - Pyrénées-Orientales, Aude, Hérault, Gard, Bouches-du-Rhône, Var, ainsi que dans le sud de l'Ardèche (Source : Cirad).

 

 

Références

EFSA Fièvre hémorraguique de Crimée-Congo consulté le 10/05/2021 (source : https://efsa.maps.arcgis.com/apps/MapJournal/index.html?appid=944206f623...)

OMS Fièvre hémorraguique de Crimée-Congo, consulté le 10/05/2021 (sourc : http://who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/crimean-congo-haemorrhagi...)

Espunyes, Johan, Oscar Cabezón, Lola Pailler-García, Andrea Dias-Alves, Lourdes Lobato-Bailón, Ignasi Marco, Maria P. Ribas, Pedro E. Encinosa-Guzmán, Marta Valldeperes, et Sebastian Napp. 2021. « Hotspot of Crimean-Congo Hemorrhagic Fever Virus Seropositivity in Wildlife, Northeastern Spain - Volume 27, Number 9—September 2021 - Emerging Infectious Diseases Journal - CDC ». https://doi.org/10.3201/eid2709.211105.

Spengler, Jessica R., Éric Bergeron, et Pierre E. Rollin. 2016. « Seroepidemiological Studies of Crimean-Congo Hemorrhagic Fever Virus in Domestic and Wild Animals ». PLOS Neglected Tropical Diseases 10 (1): e0004210. https://doi.org/10.1371/journal.pntd.0004210.

Documents associé(s)