Epizootie de diarrhée épidemique porcine (DEP) aux Etats Unis et au Canada : question sur une éventuelle origine alimentaire
Nicolas Rose (1) (nicolas.rose@anses.fr), Béatrice Grasland (2) dans le cadre de la Veille internationale de la Plateforme ESA*
* Contributeur : Didier Calavas (3)
Depuis avril 2013, les Etats-Unis sont confrontés à une épizootie de diarrhée épidémique porcine sans précédent dans le pays, à l’origine de la mort de plusieurs millions de porcelets (voir Bulletin épidémiologique 58, 21-22). Plus de 3 500 élevages ont été touchés dans vingt-cinq états depuis le début de l’épizootie et la maladie s’est maintenant propagée au Canada, ce qui ne constitue pas une surprise étant donnée les échanges et la proximité entre les deux pays (16 élevages touchés en Ontario, 1 dans le Manitoba, 1 récemment sur l’ile du prince Edward et 1 au Québec).
L'incidence des élevages confirmés positifs aux Etats-Unis est représentée en Figure 1. Durant la première partie de l'épizootie (de début avril au 10 juin 2013), le R0 (*) de propagation de l'épizootie inter-élevages a été estimé à 48,3 [28,9 ; 81,6] (Figure 2). Ceci suggère une contamination groupée de plusieurs élevages via une exposition commune dans les premiers temps de l'épizootie. Sur la partie la plus récente de la courbe épidémique (de septembre 2013 à fin janvier 2014) le R0 était de 2,4 [2,2 ; 2,6]. Cette estimation suggère quant à elle une propagation inter-troupeaux efficace de la maladie, ce qui est cohérent avec un mode de propagation par un transport mécanique du virus par des vecteurs (véhicules, personnels, etc.), des échanges d'animaux ou éventuellement des aérosols pour des élevages voisins.
Figure 1 : Incidence hebdomadaire des élevages confirmés positifs aux Etats-Unis (AASW, 2014)
Figure 2 : Modélisation de l’accroissement de l’incidence sur différentes périodes pour estimation du R0 (*) Le R0 (taux de reproduction de base) est le nombre d’élevages secondairement infectés à partir d’un premier élevage infecté
La maladie est due à un alpha-coronavirus porcin différent de celui impliqué dans la gastro-entérite transmissible (GET). La maladie ne pose aucun risque pour la santé humaine ou la sécurité alimentaire. Les souches de virus circulant aux Etats-Unis ont été séquencées et présentent plus de 99 % d’identité avec le génome d’un virus de DEP isolé en Chine en 2012 (Song and Park, 2012). Certaines pistes quant à l’origine de l’infection sont suggérées par les enquêtes épidémiologiques en cours (origine alimentaire via des matières premières ou des compléments alimentaires contaminés) mais sans certitude. Au Canada, des composés entrant dans l’alimentation des porcs (plasma) ont cependant été détectés contaminés par du virus infectieux, sans que l’origine des matières premières contaminées ait été précisée (matières premières importées ou produites localement, pouvant constituer une recirculation du virus par voie alimentaire)(Government of Canada, 2014).
Sur le plan clinique, le virus de la DEP est responsable d’une diarrhée profuse, aqueuse pouvant toucher différentes classes d’âges (animaux adultes, porcelets sous la mère, porcs en croissance). Des vomissements peuvent aussi être observés sur les porcelets ou même les truies. Au pic de l’épizootie, le taux de morbidité peut atteindre 100 % et le taux de mortalité est souvent très élevé chez les porcelets sous la mère (50 % en moyenne, pouvant atteindre 100 %).
Pour confirmer un cas de DEP et notamment le différencier d’une infection par le virus de la GET, l’approche classique est de combiner une détection directe de l’antigène ou du virus, associée à une réponse sérologique. Les échantillons biologiques pour la recherche du virus sont les fèces ou les cellules épithéliales du petit intestin prélevé chez le jeune porcelet 24 h après le début de diarrhée aiguë. Le virus peut être mis en évidence par microscopie électronique dans les fèces par sa morphologie caractéristique et identifié par agrégation avec des antisérums spécifiques de porcs convalescents. Toutefois, la visualisation et l’identification des particules virales nécessitent une expertise technique peu disponible en Europe vu que ce type d’affection a disparu depuis plus de vingt ans. L’isolement viral sur culture cellulaire est difficile mais possible sur cellules Vero ou PK15. La RT-PCR reste la méthode la plus sensible et la plus spécifique, en routine en Corée et au Japon (Kim et al., 2001). La détection d’anticorps spécifiques peut se faire par IPMA (immunoperoxidase monolayer assay) ou ELISA (Saif et al., 2012).
En Europe, les derniers cas de diarrhée épidémique porcine ont été décrits en 2006 en Italie (Martelli et al., 2008). Le potentiel de diffusion de cette nouvelle souche de virus dans la population porcine européenne n’est pas connu.
L’hypothèse d’une exposition commune au début de l’épizootie, l’homologie avec un virus circulant récemment en Chine, la détection du virus infectieux dans un sous-produit d’abattoir utilisé pour l’alimentation des porcs, le statut immunitaire incertain de la population porcine en Europe vis-à-vis de ce nouveau variant de DEP appellent à exercer une grande vigilance sur l’évolution de cette épizootie et de son origine.
(1) Anses, Laboratoire de Ploufragan-Plouzané, Unité Epidémiologie et bien-être du porc, France
(2) Anses, Laboratoire de Ploufragan-Plouzané, Unité Génétique Virale, Biosécurité, France
(3) Anses, Laboratoire de Lyon, Unité Epidémiologie, France
Références :
AASW, 2014. American Association of Swine Veterinarians. Porcine Epidemic Diarrhea [WWW Document]. URL http://www.aasv.org/aasv%20website/Resources/Diseases/PorcineEpidemicDiarrhea.php (accessed 3.11.14).
Government of Canada, C.F.I.A., 2014. Update: Canadian Food Inspection Agency Investigation into Feed as a Possible Source of Porcine Epidemic Diarrhea (PED) [WWW Document]. URL http://www.inspection.gc.ca/animals/terrestrial-animals/diseases/other-diseases/ped/2014-03-03/eng/1393891410882/1393891411866 (accessed 3.11.14).
Kim, S.Y., Song, D.S., Park, B.K., 2001. Differential Detection of Transmissible Gastroenteritis Virus and Porcine Epidemic Diarrhea Virus by Duplex RT-PCR. J. Vet. Diagn. Invest. 13, 516–520.
Martelli, P., Lavazza, A., Nigrelli, A.D., Merialdi, G., Alborali, L.G., Pensaert, M.B., 2008. Epidemic of diarrhoea caused by porcine epidemic diarrhoea virus in Italy. Vet. Rec. 162, 307–310. doi:10.1136/vr.162.10.307.
Saif, L., Pensaert, M.B., Sestak, K., Yeo, S.G., and Jung, K., 2012. Coronaviruses. Diseases of swine, 10th edition. Edited by Zimmerman J, Karriker LA, Ramirez A, Scwartz KJ, Stevenson GW. 501-524.
Song, D., Park, B., 2012. Porcine epidemic diarrhoea virus: a comprehensive review of molecular epidemiology, diagnosis, and vaccines. Virus Genes 44, 167–175.