Epidémiosurveillance en santé animale

Introduction de la Lucilie bouchère dans le sud de la Floride – un rappel pour le risque d’introduction en Guadeloupe et Martinique

Laure Bournez1, Jennifer Pradel2,3
(1) Anses, Direction des laboratoires, Unité de coordination et d’appui à la surveillance, Maisons Alfort, France
(2) Cirad, UMR1309 Contrôle des maladies animales exotiques et émergentes (CMAEE), Petit-Bourg, Guadeloupe, France
(3). Inra, UMR 1309 CMAEE, Montpellier, France

 
Des foyers de lucilies bouchères (Cochliomyia hominivorax) ont été confirmés le 30 septembre 2016 en Floride dans l’archipel des Keys chez des cervidés sauvages (OIE, 2016) (Figure 1). Des cerfs des Keys (Odocoileus virginianus clavium) ont été découverts souffrant de myiases sévères dans une réserve nationale située sur Big Pine Key puis dans deux autres keys du Sud de l’archipel (No name Key et Summerland Key). Les premières infestations par des myiases ont été observées le 4 juillet 2016 sans confirmation de l’espèce en cause. La mouche adulte a été au total détectée dans huit îles de l’archipel des Keys. Un petit nombre de chiens, chats et cochons a aussi été trouvé infesté. Il n’y a pas d’élevage de ruminants domestiques à proximité et aucun cas d’infestation par la Lucilie bouchère n’a été détecté chez l’Homme. Par ailleurs, à ce jour, les mouches n’ont pas été retrouvées plus au nord, sur le continent.

Au 26 octobre 2016, 114 cerfs sont morts des lésions des myiases ou ont été euthanasiés. Le cerf des Keys est une espèce endémique, en danger critique d’extinction (liste rouge de l’UICN), avec une taille de population estimée entre 700 et 900 individus. Il est menacé par plusieurs facteurs : barrières à la dispersion (étant donné leur habitat insulaire), élevation du niveau de la mer, phénomènes de compétition avec les cerfs du continent ou pollution génétique (Reece et al., 2013). La situation actuelle inquiète les autorités sanitaires en raison de l’impact de la Lucilie bouchère sur la sauvegarde de l’espèce.

La surveillance a été renforcée par l’examen des animaux domestiques de l’archipel et des contrôles stricts des mouvements d’animaux sont effectués. Une quarantaine et un poste d’inspection ont été mis en place par le département américain de l’agriculture à Key Largo pour examiner et traiter les animaux sortant de la zone. La population est également largement informée afin de contribuer à la détection précoce de nouveaux cas. Un programme de capture des mouches adultes ainsi qu’une surveillance passive des mouches et des larves a été mis en place dans l’archipel, mais aussi sur le continent en Floride. Depuis le 11 octobre, un programme de contrôle via le lâcher de mâles stériles a été lancé et sera maintenu dans les prochains mois jusqu’à ce que la surveillance entomologique indique que l’espèce a été éradiquée. La surveillance a aussi été élargie à l’état de Géorgie ou des contrôles sont effectués sur les animaux (bétail, animaux de compagnie) en provenance de Floride.

La Lucilie bouchère avait été éradiquée des Etats-Unis en 1966 par la méthode du lâcher de mâles stériles. Des incursions sporadiques ont été observées par la suite (incursions naturelles depuis le Mexique jusqu’en 1982, date à laquelle le Mexique a réussi à éradiquer la Lucilie, importations d’animaux infestés) (James, 2006). Un programme d’éradication via le lâcher de mâles stériles a également été mis en place dans les pays d’Amérique centrale. En 2004, elle était éradiquée de tous les pays d’Amérique Centrale et du Panama, ainsi que de la Caraïbe - Porto Rico et des Iles vierges américaines et britanniques. La Lucilie étant présente dans la plupart des pays d’Amérique du Sud, une zone tampon notamment via le lâcher réguliers de mâles stériles est maintenue au Panama.

La Lucilie bouchère est toujours présente en Guyane française comme dans la plupart des autres pays sud-américains. Dans la Caraïbe, la Lucilie bouchère est considérée comme endémique dans cinq pays: Cuba, Haïti, la Jamaïque, la République Dominicaine et Trinidad et Tobago ; mais elle est considérée comme étant absente dans les autres îles dont la Guadeloupe et la Martinique (Vargas-Teran et al. 2005 ; enquête réalisée en 2014 auprès des chefs des services vétérinaires des pays/territoires de la Caraïbe par le réseau Caribéen en santé animale CaribVET). L’île d’Aruba située à proximité des côtes du Venezuela a été infestée en 2012 et a réussi à éliminer la Lucilie bouchère.

Il y a donc toujours un risque d’introduction de la Lucilie bouchère dans les îles de la Caraïbe indemnes dont la Guadeloupe et la Martinique, comme l’illustrent les récents foyers détectés en Floride. Les voies possibles d’introduction de la Lucilie bouchère sont l’importation d’animaux vivants infectés et la dispersion par le vent. Les mesures de prévention et de contrôle prises par les autorités américaines laissent penser que les foyers seront maîtrisés. La France métropolitaine apparaît globalement être à très faible risque étant donné que cette mouche ne survit pas dans des milieux tempérés.

UICN : Union internationale pour la conservation de la nature             
 
https://www.oie.int/wahis_2/resource/maps/tmp/581a2578_3a88_8.gif

Figure 1 : localisation de foyers de Lucilies bouchères en Floride

Références
- Rapports de l’OIE (2016) http://www.oie.int/wahis_2/public/wahid.php/Reviewreport/Review/viewsum…
- James A. (2006) Screwworms, JAVMA, Vol 228, No. 3, 357 – 367 https://www.avma.org/News/Journals/Collections/Documents/javma_228_3_35…
- Vargas-Teran M., Hofmann H.C., Tweddle N.E. (2005). Impact of screwworm eradication programmes using the sterile insect technique. In: V.A. Dyck, J. Hendrichs and A.S. Robinson (eds.), Sterile Insect Technique. Principles and Practice in Area-Wide Integrated Pest Management, 629-650.
- National Key Deer Refuge. US Fish & Wildlife Service.https://www.fws.gov/home/dhoilspill/pdfs/DHR_USFWS_NationalKeyDeer_NWR_….
 - Reece J.S., Noss R.F., Oetting J., Hoctor T., Volk M. (2013). A vulnerability Assessment of 300 species in Florida: threats from sea level rise, land use and Climate change. PLoS ONE 8(11): e80658. doi:10.1371/journal.pone.0080658

 

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