Epidémiosurveillance en santé animale

Le virus Heartland serait il zoonotique ?

Philippe Marianneau (1) (philippe.marianneau@anses.fr), Didier Calavas (1) dans le cadre de la Veille internationale de la Plateforme ESA

Anses, Laboratoire de Lyon, France

Dans le cadre de l'activité de Veille sanitaire internationale, notre attention a été attirée par un des membres de la Plateforme ESA sur un phlébovirus qui atteint l’Homme dans l’Est des Etats Unis, et qui serait par ailleurs très prévalent chez les ruminants dans la même région. L’analyse documentaire menée dans le cadre du Groupe de suivi Veille internationale permet d’apporter des éléments de clarification.

Le virus Heartland a été isolé en 2009, dans le nord-ouest du Missouri, à partir de deux cas humains, deux fermiers hospitalisés avec de la fièvre, une leucopénie et une thrombocytopénie. En 2012-2013, six autres cas humains d’infection par le virus Heartland ont été décrits, quatre ont nécessité une hospitalisation et une personne avec co-morbidité est décédée.Tous les patients ont rapporté avoir de nombreuses activités à l’extérieur (travail, randonnée, chasse, activités forestières…) et cinq d’entre eux avoir eu des piqures de tiques dans les deux semaines précédant le début des symptômes.

Comme souvent avec les virus transmis par les tiques, il est tentant d’aller chercher d’autres hôtes, qui pourraient être impliqués dans le maintien du virus dans la nature. Malheureusement, aucune étude n’a été menée sur les animaux de ferme ou sauvages autour des cas humains rapportés.

Qu'est ce que le virus Heartland?

Le virus Heartland est un virus du genre phlébovirus dans la famille Bunyaviridae. Les virus de cette famille, que l’on retrouve partout dans le monde, présentent des caractéristiques très différentes entre les genres, voire même à l’intérieur d’un même genre (tropisme humain et/ou animal, mode de transmission par tiques, moustiques, culicoïdes ou rongeurs…).

Le virus Heartland a été isolé en 2009, dans le nord-ouest du Missouri, à partir de deux cas humains, deux fermiers hospitalisés avec de la fièvre, une leucopénie et une thrombocytopénie (McMullan et al., 2012). Compte-tenu des données cliniques des patients et de leur probable exposition, la transmission du virus par les tiques a rapidement été suspectée. Savage et al. ont montré qu’il était possible de détecter le virus Heartland dans les tiques Amblyomma americanum (Lone star tick), espèce la plus courante dans cette région des Etats Unis (Savage et al., 2013). En 2012-2013, six autres cas humains d’infection par le virus Heartland ont été décrits, quatre ont nécessité une hospitalisation et une personne avec co-morbidité est décédée. Cinq patients venaient du Missouri, le sixième du Tennessee. Tous étaient des hommes de plus de 50 ans (moyenne : 58 ans, min 50, max 80 ans). La phase aiguë de la maladie se situait dans tous les cas entre mai et septembre (3 cas en mai, 1 en juillet, et 2 en septembre). Tous les patients ont rapporté avoir de nombreuses activités à l’extérieur (travail, randonnée, chasse, activités forestières…) et cinq d’entre eux avoir eu des piqures de tiques dans les deux semaines précédant le début des symptômes.

Caractéristiques de l'infection avec le virus Heartland

Il est important de noter que les cas humains sont définis par :

- un tableau clinique évocateur de la maladie (fièvre, leucopénie et thrombocytopénie) et

- la détection moléculaire du génome viral dans le sang ou les tissus (par RT-PCR) ou

- une augmentation d’un facteur 4 du titre en anticorps neutralisants entre un sérum en phase aiguë et un sérum en phase de convalescence.

Traitement et vaccin

Il n’existe pas à l’heure actuelle de vaccin ou de traitement spécifique, et toute la prévention dans les régions où circule ce virus est basée sur la protection contre les tiques (répulsifs contre les insectes, habits à manches/jambes longues…).

Phylogénie 

Des études phylogénétiques ont montré que le virus Heartland était très proche du virus SFTS (Severe Fever with Thrombocytopenia Syndrome) un autre phlébovirus transmis par les tiques. Le virus SFTS a été découvert en Chine en 2010. Bien qu’il ait atteint d’autres pays asiatiques tels que la Corée ou le Japon, c’est surtout dans les régions rurales du nord-est de la Chine qu’il sévit. Depuis son émergence, 649 cas confirmés ont été recensés, qui ont conduit à 31 décès (Liu et al., 2014).

Si l’implication des tiques dans la transmission du virus Heartland à l’Homme semble de plus en plus évidente, le cycle de multiplication du virus dans la nature reste inconnu.

Réservoir animal 

Comme souvent avec les virus transmis par les tiques, il est tentant d’aller chercher d’autres hôtes, qui pourraient être impliqués dans le maintien du virus dans la nature. Malheureusement, aucune étude n’a été menée sur les animaux de ferme ou sauvages autour des cas humains rapportés.

Une étude vient d’être publiée sur la séroprévalence vis-à-vis de bunyavirus chez des ruminants domestiques ou captifs dans le Minnesota (Xing et al., 2013). Cette étude montre une séroprévalence de 10 à 18% chez ces animaux (bovins (15,5%), chèvres (10,9%), moutons (12,5%), cerfs (11,8%) et élans (18%). Les résultats de cette étude tendraient à conclure qu’il y a bien un nouvel agent pathogène de type virus Heartland-like ou SFTS-like qui circule et infecte les grands mammifères dans la région du Minnesota. Si la définition des cas humains dus au virus Heartland est très claire comme indiqué ci-dessus, les biais de l’étude sur l’infection des animaux du Minnesota sont nombreux comme rappelés dans une lettre à l’éditeur d’EID (Nasci et al., 2014) et il est difficile d’estimer la portée des résultats de cette étude.

Tout d’abord il n’y a eu aucun cas humains dus au virus Heartland rapportés dans le Minnesota (rappelons que la frontière sud du Minnesota est située à plus de 300 Km du nord-ouest du Missouri, et rien ne permet de comprendre pourquoi les auteurs ont mené leur étude dans cet Etat, plutôt qu’ailleurs). Ensuite, l’étude n’a porté que sur des tests sérologiques qui, en l’absence d’outils spécifiques pour la détection du virus Heartland, ont été réalisés avec une nucléoprotéine recombinante du virus SFTS. Aucune confirmation de la spécificité de la réponse humorale n’a été apportée avec des tests de séroneutralisation. En conclusion, ces résultats sérologiques sont difficilement interprétables par rapport à une potentielle infection par le virus Heartland. Ils pourraient en effet tout aussi bien être dus à un autre phlébovirus présent dans les tiques, le virus Lone Star (Swei et al., 2013).

"Further studies are needed"

De manière générale, tous ces résultats montrent bien que l’on dispose actuellement d’outils de plus en plus sophistiqués pour la recherche de séquences virales (séquençage NGS, microarrays…) mais également pour des études sérologiques (protéines recombinantes, Luminex…) mais que tous ces résultats aussi intéressants soient-ils ne doivent être exploités qu’au regard de ce qu’il se passe réellement sur le terrain, tant en santé publique qu’en santé animale. A ce stade, rien ne permet d’affirmer qu’il y a un lien entre ce qui a été observé et bien qualifié dans le Missouri (quelques cas humains d’infection par un phlébovirus, le virus Heartland, dus à des morsures de tiques, sans qu’un réservoir animal ait été identifié) et les résultats de l’étude sérologique du Minnesota (séroprévalence d’un virus Heartland like ou SFTS like chez des ruminants, sans idée du pouvoir pathogène ou zoonotique de ce virus). On pourrait donc terminer par l’antienne habituelle « further studies are needed ».

 

Sources :

Liu, S., Chai, C., Wang, C., Amer, S., Lv, H., He, H., Sun, J., Lin, J., 2014. Systematic review of severe fever with thrombocytopenia syndrome:virology, epidemiology, and clinical characteristics. Rev. Med. Virol. 24, 90–102. doi:10.1002/rmv.1776

McMullan, L.K., Folk, S.M., Kelly, A.J., MacNeil, A., Goldsmith, C.S., Metcalfe, M.G., Batten, B.C., Albariño, C.G., Zaki, S.R., Rollin, P.E., Nicholson, W.L., Nichol, S.T., 2012. A New Phlebovirus Associated with Severe Febrile Illness in Missouri. N. Engl. J. Med. 367, 834–841. doi:10.1056/NEJMoa1203378

Nasci, R.S., Brault, A.C., Lambert, A.J., Savage, H.M., 2014. Novel Bunyavirus in Domestic and Captive Farmed Animals, Minnesota, USA. Emerg. Infect. Dis. 20, 337. doi:10.3201/eid2002.131360

Savage, H.M., Godsey, M.S., Lambert, A., Panella, N.A., Burkhalter, K.L., Harmon, J.R., Lash, R.R., Ashley, D.C., Nicholson, W.L., 2013. First Detection of Heartland Virus (Bunyaviridae: Phlebovirus) from Field Collected Arthropods. Am. J. Trop. Med. Hyg. 89, 445–452. doi:10.4269/ajtmh.13-0209

Swei, A., Russell, B.J., Naccache, S.N., Kabre, B., Veeraraghavan, N., Pilgard, M.A., Johnson, B.J.B., Chiu, C.Y., 2013. The Genome Sequence of Lone Star Virus, a Highly Divergent Bunyavirus Found in the Amblyomma americanum Tick. PLoS ONE 8, e62083. doi:10.1371/journal.pone.0062083

Xing, Z., Schefers, J., Schwabenlander, M., Jiao, Y., Liang, M., Qi, X., Li, C., Goyal, S., Cardona, C.J., Wu, X., Zhang, Z., Li, D., Collins, J., Murtaugh, M.P., 2013. Novel Bunyavirus in Domestic and Captive Farmed Animals, Minnesota, USA. Emerg. Infect. Dis. 19, 1487–1489. doi:10.3201/eid1909.130165