Poursuite de la propagation du virus Usutu dans l’avifaune en Europe
Veille sanitaire internationale (VSI) Plateforme ESA – France
LNR West Nile, Laboratoire de santé animale de Maisons-Alfort – France
Sources : Promed, OIE
Le virus Usutu continue sa propagation en Europe, avec notamment en 2016 une réémergence en France, et une première déclaration aux Pays-Bas.
Virus Usutu : un flavivirus originaire d’Afrique
Le virus Usutu (USUV) est un arbovirus du genre Flavivirus qui présente un cycle d’amplification très proche de celui du virus West Nile (vecteur Culex, réservoirs dans l’avifaune). Il a été détecté chez des moustiques (Culex spp.), des oiseaux et des chauves-souris, et se maintiendrait par le biais de cycles de transmission enzootiques moustiques-oiseaux (Rijks et al. 2016). Ce virus a été découvert en Afrique du Sud en 1959 et a par la suite été isolé dans plusieurs pays africains (République Centrafricaine, Sénégal, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Nigéria, Ouganda et Tunisie). Des analyses génétiques des souches africaines et européennes d’USUV suggèrent que les souches européennes proviennent d’Afrique par le biais de la migration d’oiseaux (Réseau Sagir 2016).
Une introduction récente au sein de l’avifaune européenne
Des analyses rétrospectives ont permis de déterminer qu’il y aurait eu au moins trois introductions virales en Europe le long des couloirs migratoires en provenance d’Afrique. Le virus aurait été introduit à deux reprises en Espagne dans les années 1950 puis dans les années 1990 selon un couloir migratoire Atlantique Est. Par ailleurs, une introduction en Europe centrale aurait eu lieu dans les années 1980 en suivant le couloir migratoire Mer noire/Méditerranée (Engel et al. 2016). Les souches Usutu identifiées en Europe se caractérisent par une grande diversité génétique, avec une classification proposée selon sept lignées (Europe 1-5 et Afrique 2-3, seules ces deux dernières lignées comportant à la fois des isolats européens et africains), soulignant les multiples évènements d’introduction de souches depuis l’Afrique et la plasticité des souches circulant en Europe (les souches Europe 2 sont apparues après adaptation de la lignée Europe 1 par exemple).
En 1996, le virus a été détecté en Italie suite à de fortes mortalités chez des merles noirs (Turdus merula), entraînant des épizooties au sein de l’avifaune sauvage et captive (Cadar et al. 2017, Ziegler et al. 2016). Par la suite, le virus a été responsable de nombreuses épizooties dans l’avifaune principalement chez les passeriformes (merle, mésange, pie, etc.) et les strigiformes (chouettes) en Autriche, Belgique, République Tchèque, Croatie, France, Allemagne, Hongrie, Italie, Espagne et Suisse, avec aussi une émergence aux Pays-Bas en 2016 (Cadar et al. 2017).
Premières suspicions en France en 2009 et confirmation en 2015
En France, la présence du virus USUV (ou d’un virus proche) était suspectée suite à la mise en évidence de traces sérologiques chez des pies bavardes (Pica pica) prélevées entre novembre 2009 et décembre 2010 en Camargue (Vittecoq et al. 2013). Les mortalités d’oiseaux observées au cours de l’année 2015 dans le Haut‐Rhin et le Rhône ont permis d’identifier le virus pour la première fois en France (Réseau Sagir 2016).
2016 : augmentation de l’incidence en Europe de l’Ouest
Au cours de l’été 2016, une augmentation de l’incidence de cas dus au virus Usutu a été signalée en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas et en France, principalement associée à la diffusion depuis l’Allemagne de deux souches appartenant aux lignées Europe 3 et Africa 3 (Figure 1). Le virus a été identifié pour la première fois aux Pays-Bas en avril 2016 chez des merles sauvages capturés vivants (Turdus merula), puis une épizootie a débuté en août 2016 suite à l’augmentation de la mortalité chez des merles sauvages et des chouettes lapones captives (Strix nebulosa). Dans le courant de l’été 2016, une réémergence du virus a été observée en France suite à des épisodes de mortalité massive de merles. En octobre 2016, le virus avait été isolé dans cinq départements français (Haut-Rhin, Haute-Vienne, Moselle, Rhône et Loire).
Des analyses phylogénétiques effectuées par l’Anses sur trois isolats français obtenus en 2015 et dont les séquences ont été comparées aux séquences connues (africaines et européennes) ont montré que les isolats du Haut‐Rhin sont proches des souches isolées en Europe centrale et plus récemment à partir de 2011 en Allemagne de l’Ouest (Europe 3), alors que la souche du Rhône est proche des souches espagnoles isolées en 2006 et 2009 chez des moustiques Culex (Africa 2) (Lecollinet et al. 2016).
Figure 1. Localisation des différentes souches du virus Usutu isolées en Europe de l’Ouest en 2015-2016, et liens épidémiologiques potentiels entre les cas (modifié d’après Cadar et al., 2017)
Le virus Usutu chez l’Homme
Dans quelques cas rares, le virus Usutu a été transmis à l’Homme par des moustiques du genre Culex. Il a été identifié pour la première fois chez l’Homme en 2009 chez deux patients italiens présentant une immunodépression et atteints de méningo-encéphalite. Depuis, cinq cas humains d’infection à virus Usutu ont été signalés en Europe, malgré des épizooties à grande échelle au sein des populations d’oiseaux, dont trois de ces cas étaient des patients immuno-déficients (source : Dutch Wildlife Health Center DWHC lien).
Risques associés à la circulation du virus Usutu en France
Le virus Usutu a été introduit à plusieurs reprises en Europe depuis l’Afrique et de nouvelles introductions de ce virus sont probables, comme l’indique le suivi en Europe des infections par le virus Usutu ou des flavivirus proches (virus West Nile,…). De plus en plus de pays européens, à l’image de ce qui a pu être observé en France, décrivent la circulation de souches très différentes sur le plan génétique, avec un manque d’informations quant à l’impact du fond génétique des souches sur la clinique ou l’immunité associées aux infections dans l’avifaune sauvage.
Les infections à virus Usutu ont un impact majeur (mortalités groupées et diminution possible des populations d’oiseaux) sur certaines espèces de l’avifaune sauvage ou captive (merle noir, Turdus merula, mais plus généralement les passéridés comme les étourneaux, geais, mésanges, grives, ainsi que les rapaces nocturnes comme les chouettes). Par contre, les données disponibles actuellement ne montrent pas d’infection clinique par le virus Usutu chez les volailles domestiques chez lesquelles des infections expérimentales ont été conduites, à savoir la poule et l’oie (Chvala et al., 2005 et 2006).
Le virus Usutu présente un risque zoonotique limité : description de quelques cas neuro-invasifs chez l’Homme en Europe malgré l’observation d’infections fréquentes à Usutu dans l’avifaune sauvage ou captive, identification de donneurs de sang virémiques sans détection d’infections cliniques post-transfusionnelles. Cependant, pour évaluer les risques associés à la présence d’Usutu en France pour l’Homme, il serait nécessaire d’approfondir les connaissances sur la circulation des différentes souches virales au moyen d’une surveillance renforcée (surveillance intégrée et active chez les vecteurs (moustiques) et hôtes du virus (avifaune sauvage, Homme) contre une surveillance clinique dans l’avifaune en 2011-2017).
Références :
Cadar, D., Lühken, R., van der Jeugd, H., Garigliany, M., Ziegler, U., Keller, M., Lahoreau, J., Lachmann, L., Becker, N., Kik, M. and Oude, M.B. (2017). Widespread activity of multiple lineages of Usutu virus, western Europe, 2016. Euro Surveill.. 22.4
Chvala S, Bakonyi T, Hackl R, Hess M, Nowotny N, Weissenböck H. (2005). Limited pathogenicity of Usutu virus for the domestic chicken (Gallus domesticus). Avian Pathol. 34(5):392-5.
Chvala S, Bakonyi T, Hackl R, Hess M, Nowotny N, Weissenböck H. (2006). Limited pathogenicity of usutu virus for the domestic goose (Anser anser f. domestica) following experimental inoculation. J Vet Med B Infect Dis Vet Public Health. 53(4):171-5.
Engel, D., et al. (2016). Reconstruction of the Evolutionary History and Dispersal of Usutu Virus, a Neglected Emerging Arbovirus in Europe and Africa. MBio. 7(1).
Lecollinet, S., et al. (2016).Dual Emergence of Usutu Virus in Common Blackbirds, Eastern France, 2015. 22(12):2225.
Rijks J, Kik M, Slaterus R, Foppen R, Stroo A, IJzer J, et al. (2016). Widespread Usutu virus outbreak in birds in the Netherlands. Euro Surveill. 21(45).
Réseau Sagir (2016). Surveillance sanitaire de la faune sauvage en France. Lettre n° 183. Ed. Office national de la chasse et de la faune sauvage, Paris, 11p.
Vittecoq, M., et al. (2013). Recent circulation of West Nile virus and potentially other closely related flaviviruses in Southern France. Vector Borne Zoonotic Dis. 13(8): p. 610‐3.
Weissenböck, H., Kolodziejek, J., Url, A., Lussy, H., Rebel-Bauder, B., & Nowotny, N. (2002). Emergence of Usutu virus, an African mosquito-borne flavivirus of the Japanese encephalitis virus group, central Europe. Emergence. Emerg Infect Dis 8:652–656
Ziegler, U., Fast, C., Eiden, M., Bock, S., Schulze, C., Hoeper, D., et al. (2016). Evidence for an independent third Usutu virus introduction into Germany. Vet Mic., 192, 60-66.