Epidémiosurveillance en santé animale

Progression du virus du tilapia lacustre

Veille sanitaire internationale (VSI) Plateforme ESA – France
J-F Baroiller – Cirad, UMR Institut des Sciences de l’Evolution de Montpellier (ISEM), Montpellier – France
L. Bigarré & T. Morin – Anses, Laboratoire de Ploufragan-Plouzané – France

Source : OIE, communiqué de presse de la FAO (26/05/2017 - lien), ProMED (29/05/2017 et 21/06/2017)

UN VIRUS RECENT QUI SE PROPAGE CHEZ LES PAYS PRODUCTEURS

La FAO a récemment tiré la sonnette d’alarme au sujet du virus du tilapia lacustre (Tilapia Lake Virus, TiLV), un virus très contagieux de la famille des Orthomyxoviridae, qui se répand au sein des populations sauvages et domestiques de tilapias. La présence de ce virus avait été signalée dans cinq pays sur trois continents différents : la Colombie, l'Equateur, l'Egypte, Israël et la Thaïlande (source : Global Information and Early Warning System – GIEWS – de la FAO). Suite à l’observation d’une mortalité anormalement élevée de 6,4 % dans un élevage de 150 000 tilapias (Oreochromis niloticus et O. aureus) le 14 juin 2017 à Taoyuan,  un foyer a été notifié à l’OIE par Taiwan (Taipei chinois). Depuis, le TiLV continue de se propager dans le pays, touchant à présent sept étangs à Taoyuan (source : ProMED 21/06/2017). Il est à noter que la Chine, l’Indonésie et l’Egypte sont les trois principaux producteurs aquacoles de tilapias dans le monde (source : FAO).
Découvert récemment, ce virus reste méconnu. Bien que ne présentant pas de risque en termes de santé publique, il entraine des taux de mortalité variables au sein des populations de tilapias, pouvant aller jusqu’à 90 % de morts dans les lots de tilapias notifiés en Thaïlande.

LES MESURES DE CONTROLE SE METTENT PROGRESSIVEMENT EN PLACE

Selon la FAO, les foyers de TiLV doivent être surveillés de près et les pays importateurs de tilapias devraient mettre en place des mesures de gestion du risque adaptées telles que l’intensification des dépistages, le renforcement des certificats sanitaires, la mise en place de mesures de quarantaine et l’établissement d’un plan d’urgence.
A l’heure actuelle, une surveillance active du TiLV a été mise en place en Chine, en Inde et en Indonésie, et est prévue aux Philippines. En Israël, une étude épidémiologique est en cours pour déterminer les facteurs liés aux taux de survie et de mortalité globale dans les élevages affectés par le TiLV. Un test de diagnostic fiable du virus est disponible et une société privée développe actuellement un vaccin vivant atténué contre le TiLV.

FORT IMPACT ECONOMIQUE POTENTIEL AU NIVEAU MONDIAL

Après les carpes, les tilapias constituent le second groupe majeur d’espèces de poissons d’élevage. Cette production, réalisée dans plus de 135 pays, génère de nombreux emplois, revenus domestiques et revenus liés à l’exportation. En 2015, la production mondiale de tilapias était estimée à 6,4 millions de tonnes soit une valeur de 9,8 milliards de dollars américains (source : FAO). Ce poisson a donc un rôle majeur en termes de nutrition et de sécurité alimentaire mondiale, avec une importance économique considérable.

Il y a quelques années, un élevage commercial de tilapias a ainsi dû être définitivement fermé en Belgique suite à des pertes sévères provoquées par une accumulation d’agents pathogènes, dont un virus importé d’Asie. L’émergence du TiLV représente donc une nouvelle menace virale sur cette famille d’espèces piscicoles d’importance majeure, alors que d’autres virus provoquent déjà régulièrement des pertes sérieuses dans le monde.

FAIBLE IMPACT POTENTIEL AU NIVEAU NATIONAL

Le tilapia ne faisant pas partie des espèces autorisées pour l'aquaculture en France métropolitaine, les seuls élevages de tilapia sont localisés dans les DOM-TOM (Réunion, Martinique, Guadeloupe). Le tilapia est l'un des modèles de poissons les plus étudiés dans le monde et quelques laboratoires publics ou privés français disposent d'élevages en circuit fermé. La plupart de ces laboratoires travaillent sur des stocks généralement domestiques qu'ils conservent précieusement et sur lesquelles des outils spécifiques ont été développés ; dans le cadre de certains projets, en partenariat avec des collègues africains, certains de ces laboratoires travaillent plus ponctuellement sur la caractérisation de populations sauvages. Ces laboratoires disposent pour cela de structures expérimentales dont l'agrément est soumis à des règles strictes sous contrôles vétérinaires réguliers. Les échanges d'espèces ou de souches de tilapia sont cependant rares, difficiles et également soumis à des règles strictes. En revanche, les règles de transferts internationaux d’espèces d’aquariophilie sont nettement moins contraignantes que celles pour les espèces d'aquaculture. De nombreux cichlidés (la famille à laquelle appartiennent les tilapias) sont ainsi commercialisés ou échangés à travers le monde. Parmi ces cichlidés, on peut parfois trouver des juvéniles de certaines espèces de tilapias. Enfin, il existe quelques productions européennes de tilapia, à partir desquelles un nombre croissant de passionnés d'aquaponie (couplage entre un élevage aquacole en eau douce recirculée et une production végétale souvent alimentaire en hydroponique),  importent quelques individus à des fins privées et sans pour autant toujours connaître ou respecter les règles en vigueur.

FAIBLE RISQUE D'INTRODUCTION EN FRANCE METROPOLITAINE

De par leur non-respect des règles sanitaires, le risque d’introduction du virus TiLV en France viendrait plus de transferts peu orthodoxes de tilapias d’élevages européens vers des amateurs, que des laboratoires de recherche.

Le spectre d’hôtes de ce virus étant inconnu, un risque pourrait être le passage du virus d’un animal importé, mal confiné, vers d’autres espèces piscicoles sauvages ou élevées sur le territoire, et bien plus importantes sur les plans écologiques et économiques (truite, etc.) ou bien encore vers les rares élevages de tilapias maintenus à des fins scientifiques. Il serait donc opportun de déterminer si le TiLV peut, ou non, infecter d’autres espèces de poissons, notamment à des températures d’eau plus froides que celles dans lesquelles il est habituellement détecté.

RISQUE PLUS ELEVE POUR LA FRANCE D'OUTRE MER

En revanche, le risque est plus important pour les départements et régions d’outre-mer (Réunion, Polynésie, Antilles) qui disposent d’élevages intensifs de tilapia du Nil mais aussi de tilapias rouges qui peuvent être soit des tilapias du Mozambique (Oreochromis mossambicus), soit des hybrides réalisés notamment à partir de cette espèce. L’introduction du TiLV pourrait avoir des conséquences sérieuses si cette espèce s’y révélait sensible.
 
Références :
Fiche OIE. Virus du tilapia lacustre. mai 2017 (lien)

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