Surveillance des dangers sanitaires exotiques : Quelle modalité de surveillance privilégier ?
Pour l’Equipe opérationnelle de la Plateforme ESA (par ordre alphabétique) : Didier Calavas (Anses), Fabrice Chevalier (DGAl), Camille Delavenne (Inra), Laure Dommergues (Coop de France), Céline Dupuy (Anses), Eva Faure (FNC), Kristel Gache (GDS France), Emmanuel Garin (GDS France), Nicolas Keck (Adilva), Fanny Pandolfi (SNGTV), Carole Sala (Anses), Cédric Sourdeau (Sral Pays de la Loire), Sébastien Wendling (DGAl)
Auteur correspondant : celine.dupuy@anses.fr
Les dangers sanitaires exotiques (DSE)[1], c’est-à-dire ceux qui sont considérés comme absents d’un territoire donné à un instant donné, sont multiples et de caractéristiques épidémiologiques très diverses (en termes de contagiosité, modalités de transmission-diffusion, etc.). La vigilance vis-à-vis de leur éventuelle introduction sur le territoire est cruciale, dans l’objectif de détection la plus précoce possible.
La problématique de la surveillance des DSE
En la matière, la veille sanitaire internationale est essentielle d’une part pour objectiver l’évolution de ces DSE dans l’espace et dans le temps hors de nos frontières, et d’autre part pour comprendre le modèle épidémiologique spécifique de chaque danger. La modélisation de la diffusion spatio-temporelle de ces dangers, à partir des données de surveillance dans les pays où ces dangers sévissent, est également essentielle pour anticiper leur diffusion depuis ces pays. Ces deux approches visent à appréhender au mieux le risque d’introduction et de définir à l’avance des modalités de surveillance et de gestion adaptées au modèle épidémiologique.
Mais force est de constater au vu d’exemples récents qu’il est très difficile, voire présomptueux, de prétendre prévoir la date et le lieu d’introduction d’un danger sanitaire donné dans un territoire donné (voir par exemple l’apparition de la maladie de Schmallenberg dans la région de Maastricht en 2010, l’introduction de la peste porcine africaine dans le Sud de la Belgique en 2018, la découverte de Varroa destructor dans l’île de la Réunion en 2017, ou encore l’identification d’Aethina tumida en Calabre en 2014).
Les gestionnaires des risques doivent prendre en compte cette caractéristique essentielle lorsqu’ils décident de la mise en place d’un dispositif de surveillance d’un DSE donné, en s’appuyant notamment sur les éléments d’évaluation du risque disponibles.
Limites de la surveillance programmée des DSE
Dans ces circonstances, la surveillance programmée, c’est-à-dire une modalité de surveillance fondée sur la recherche active d’animaux infectés au moyen de l’échantillonnage raisonné d’une population cible et la mise en œuvre d’analyses biologiques, est souvent envisagée[2].
Il convient de bien analyser comment interpréter les résultats d’un dispositif de surveillance programmée d’un DSE.
Un dispositif de surveillance programmée vise à estimer, à un instant t, la prévalence d’une infection dans une population cible sensible. Par essence, cette surveillance ne permet que de détecter de manière rétrospective l’introduction d’un danger sanitaire. Cette modalité de surveillance est également très fréquemment utilisée pour définir un statut réglementaire indemne (ou assaini) en respectant une prévalence limite[3] fixée vis-à-vis d’un DSE dans une zone donnée.
Concernant un DSE, cette modalité de surveillance permet d’assurer qu’à un instant t, la prévalence de ce danger est inférieure à une prévalence limite, dont la valeur dépend de la taille de l’échantillon d’animaux analysés (plus le nombre d’animaux testés est important, plus la prévalence limite est basse). Cette modalité permet donc, « dans une certaine mesure » [4] (au seuil de la prévalence limite), de s’assurer que le danger sanitaire n’est pas présent à un instant t. De plus, il s’agit en général d’une fausse assurance, car en cas d’introduction récente d’un DSE, sa répartition géographique n’est très certainement pas homogène sur le territoire, ce qui invalide les modalités d’échantillonnage fondées en général sur l’homogénéité de la distribution géographique du risque dans la population cible.
On comprend aisément, sans avoir besoin de formule mathématique, que plus on veut avoir l’assurance de l’absence d’introduction d’un DSE en utilisant la surveillance programmée, plus il faut augmenter la taille de l’échantillon de la population cible (la prévalence cible lors de l’apparition du premier cas étant quasi nulle), avec les conséquences en matière de coût et de faisabilité/acceptabilité.
De plus, cette approche informe de la situation à un instant t, …mais pas à l’instant t + 1. Or, par essence, on ne sait pas à quel moment un DSE viendra à être introduit sur le territoire. Et si la répétition de séquences de surveillance programmée augmente, mais de manière relativement limitée, l’assurance que ce DSE n’est pas présent à un instant t, elle n’informe en aucun cas sur la situation vis-à-vis de ce DSE au temps t + 1.
Quand les connaissances le permettent, la surveillance programmée peut être basée sur le risque, ce qui permet d’en réduire le coût tout en augmentant sa sensibilité, en focalisant la surveillance sur des zones, élevages ou animaux les plus à risque. La surveillance fondée sur des sentinelles est une des modalités de surveillance programmée basée sur le risque.
Avantages et limites d’une surveillance des Dse fondeé sur des sentinelles
Une surveillance fondée sur des animaux sentinelles[5] est quelquefois mise en œuvre ou envisagée pour détecter l’apparition d’un DSE sur un territoire. Cela a par exemple été le cas en France avec des canards appelants pour la surveillance des virus de l’influenza aviaire ou encore pour définir des zones saisonnièrement indemnes pour la fièvre catarrhale ovine. Cette modalité de surveillance a également été envisagée vis-à-vis d’Aethina tumida, mais n’a pas été déployée à ce jour.
Par rapport à la surveillance programmée, cette modalité permet en théorie un suivi en temps réel de l’exposition (cf. § infra). Mais elle n’est envisageable que lorsque la modélisation du risque d’introduction est suffisamment précise (définition des zones où la probabilité d’exposition est maximale) pour disposer de manière judicieuse les sentinelles sur le territoire, ce qui n’est pas le cas le plus fréquent s’agissant de DSE, cf. supra. Dans le cas contraire, il faudrait disposer des sentinelles sur l’ensemble d’un territoire avec un nombre et un maillage adapté au niveau de sécurité souhaité.
De plus, hormis dans les cas où la détection à coup sûr de l’exposition peut être faite à partir d’une simple observation clinique[6], cette modalité suppose la réalisation répétée d’analyses biologiques pour objectiver l’exposition, ou la confirmer à partir d’une suspicion clinique.
Au total, il s’agit d’une modalité de surveillance qui ne peut être mobilisée que dans certains contextes épidémiologiques, et qui est coûteuse : mise en place, maintenance, observation des sentinelles, analyses biologiques, contraintes répétées pour les élevages sentinelles.
La surveillance événementielle, modalité imparfaite mais incontournable pour la surveillance des DSE
Quelles que soient les caractéristiques épidémiologiques d’un DSE (spécificité du tableau clinique, contagiosité, morbidité, mortalité, conséquences sanitaires et économiques, etc.), la surveillance événementielle connaît un défaut de sensibilité. Cela tient à un ensemble de paramètres multiples et complexes : compétence des acteurs de la surveillance qui par définition ne sont pas habitués à détecter les signes cliniques d’un DSE, acceptabilité de la surveillance et des conséquences d’une suspicion, formalisation et animation du dispositif, conditions financières, etc.
Mais cette modalité de surveillance permet d’exercer, par son réseau d’acteurs – éleveurs, vétérinaires et autres acteurs de la santé animale (par ex. chasseurs) –, une surveillance clinique non spécifique en temps réel de tous les DSE exotiques (en théorie[7]), incluant des DSE non répertoriés. C’est de cette manière qu’a été détectée la forme aiguë de la maladie de Schmallenberg aux Pays-Bas en 2010, alors que son agent pathogène n’a été identifié en Allemagne que par la suite.
De plus, un dispositif de surveillance événementielle est en général moins coûteux que n’importe quel dispositif de surveillance programmée, ou fondé sur des sentinelles. Rappelons que la recherche de l’efficience de la surveillance est la finalité de la Plateforme ESA. Il convient donc de mettre en œuvre toutes les mesures (en particulier la sensibilisation et la formation des acteurs) pour maximiser les performances des dispositifs de surveillance événementielle des DSE, en les adaptant en permanence à l’évolution de leur situation épidémiologique au-delà des frontières et à la compréhension progressive de leur modèle épidémiologique.
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Concernant la déclinaison opérationnelle d’un système de surveillance d’un DSE donné, combinant éventuellement plusieurs dispositifs complémentaires fondés sur différentes modalités de surveillance, il convient de bien estimer la performance attendue de chaque dispositif, d’en évaluer la faisabilité/acceptabilité, en mettant le tout en perspective avec le coût estimé.
[1] Il convient de bien distinguer un DSE d’un danger émergent. En effet, un DSE peut ou non devenir un danger sanitaire émergent, c’est-à-dire un danger sanitaire dont l’incidence réelle augmente de manière significative dans une population donnée, d’une région donnée et pendant une période donnée (source AEEMA). Aussi, tous les DSE ne sont pas émergents.
[2] Nous n’abordons pas ici la question cruciale de la définition de la population cible et de son échantillonnage, en particulier la difficulté de recenser et/ou d’accéder à cette population cible (petits détenteurs en élevage, difficulté de la connaître a priori en faune sauvage).
[3] La prévalence limite est la prévalence minimale détectable. La taille de l’échantillon retenue (sous réserve que cet échantillon soit tiré au sort afin d’assurer la représentativité par rapport à la population cible) permet de détecter au moins un cas de DSE dans l’échantillon, si ce DSE est présent dans la population à une fréquence au moins égale à la prévalence limite choisie.
[4] Dans le cas d’une surveillance programmée visant à répondre à des contraintes réglementaires, la prévalence limite retenue est en général relativement élevée (entre 5 et 20 %) et très supérieure à la prévalence d’un DSE lors de son introduction.
[5] Un animal sentinelle est choisi pour sa sensibilité à l’agent pathogène considéré. Il est en général placé de manière stratégique pour être exposé à l’agent pathogène si celui-ci venait à être introduit sur un territoire. Son statut (clinique ou biologique) vis-à-vis de l’agent pathogène est suivi de manière prospective.
[6] L’exemple archétypique est celui des canaris utilisés dans des mines de charbon pour la détection de l’oxyde de carbone, qui mouraient à une concentration inférieure à la concentration létale pour l’Homme.
[7] Sous réserve que le DSE soit bien perçu comme à risque d’introduction et qu’une sensibilisation forte et continue soit mise en œuvre, par ex. la maladie de West-Nile chez les chevaux en 2000, l’IAHP dans l’avifaune en 2006.