Epidémiosurveillance en santé animale

Influenza aviaire H5N8 en Allemagne

dinde marie flickrFoyer d’influenza aviaire H5N8 hautement pathogène en Allemagne : origine possible et danger à la lumière des caractéristiques des virus H5N8 récemment isolés

Véronique Jestin, LNR Influenza aviaire, Anses Ploufragan (Dans le cadre de la Veille sanitaire internationale)

 

Un foyer d’influenza aviaire (IA) hautement pathogène (HP) a été détecté le 5 novembre 2014 au nord-est de l’Allemagne (Land de Mecklenburg - Poméranie occidentale) en bordure de la mer Baltique et de la Pologne (Figure 1) dans un élevage de dindes de chair d’un effectif de 31 000 têtes. Les animaux présentaient des signes cliniques, ainsi qu’une morbidité proche de 16 % (5 000 oiseaux) et une mortalité de 6 % (1 880 oiseaux). Ce cas a fait l’objet d’une notification le 6 novembre à l’OIE (http://www.oie.int).

Objet inconnu

Figre 1. Localisation du   foyer d’IAHP identifié le 05/11/2014 en Allemagne (source : OIE)

Figre 1. Localisation du   foyer d’IAHP identifié le 05/11/2014 en Allemagne (source : OIE) 



Tous les animaux ont été abattus. En plus des mesures de restriction réglementaires habituellement mises en place autour du foyer, il semblerait que dans un rayon de 50km les volailles doivent rester en claustration[1].La région dans laquelle se trouve le foyer possède 1 700 lacs, favorisant la présence d’oiseaux migrateurs. En plus des mesures de restriction réglementaires autour du foyer, il semblerait que dans un rayon de 50 km les volailles doivent rester en claustration (Promed mail, 6 novembre 2014).

Le dernier cas d’IAHP signalé en Allemagne remonte à 2009 (H5N1).

 

Caractéristiques du virus H5N8 allemand (information communiquée le 7 novembre à 10h37 par le Dr Timm Harder du laboratoire OIE de référence au FLI Riems)

Sur la base de séquences partielles du génome viral, le gène de l’hémagglutinine (H5) présente un motif de clivage polybasique RNSPLRERRRKR*GLFGAIA caractéristique d’un virus HP. Les gènes H5 et de la neuraminidase (N8) montrent la plus grande proximité au plan phylogénétique avec les virus H5N8 détectés en République de Corée en 2014 ; le gène H5 appartient en effet au clade 2.3.4.6 du virus H5N1 HP. Les virus coréens sont des réassortants de virus H5N8 apparus en Chine en 2010, ces derniers ayant un gène H5 dérivant de la lignée issue du virus H5N1 HP A/goose/ Guanddong/1/1996). Le virus H5N8 allemand a été parfaitement détecté par les techniques RT-PCR temps réel ciblant les gènes M et H5 et les techniques de PCR point final pan-HA (couvrant tous les sous-types d’hémagglutinine) et pan-NA (couvrant tous les sous types de neuraminidase) en vigueur dans les laboratoires européens.

Les virus H5N8 et les virus H5N8 coréens 2014

Des foyers d’IAHP causés par un virus H5N8 ont été rapportés en Irlande chez des canards et des dindes en 1983. Le gène H5 de cette souche (après mutation du site de clivage HP en faiblement pathogène) est utilisé dans un vaccin recombinant commercial utilisant un vecteur Poxvirus aviaire. Des foyers dus à un virus H5N8 (éloigné phylogénétiquement du virus irlandais) ont été rapportés dans des élevages de canard en Chine dans la province du Jiangsu en 2010 et ont été les donneurs de quatre des huit gènes (dont le gène HA) des virus H5N8 coréens 2014.

Entre le 16 janvier et le 21 avril 2014, 29 foyers d’IAHP H5N8 ont été notifiés à l’OIE dans des élevages de volailles de sept provinces différentes de la République de Corée. Les foyers étaient essentiellement localisés dans l’ouest du pays et concernaient majoritairement des élevages de canard chair ou reproducteurs (17 sur 29 foyers). Les foyers déclarés représentaient au total plus de 610 000 volailles éliminées ou mortes (en plus des canards, poulets de chair, poulets reproducteurs pondeuses et oies) avec des morbidités et mortalités globales respectivement de 5,8 % et 2,6 %. En fait, 200 élevages auraient été touchés jusqu’au 8 mai 2014 (Jeong et al 2014) et il semblerait que d’autres foyers soient apparus durant l’été, et que les pertes intégrant les volailles abattues préventivement aient été très lourdes. En effet, de l’ordre de 14 millions de volailles ont été perdues / détruites /abattues selon Promed mail du 5 sept 2014. Dans le même temps, un foyer a été déclaré le 11 avril 2014 chez des poulets de chair dans le Sud-Ouest du Japon, mais ce pays a recouvré son statut indemne d’IA à déclaration obligatoire le 17 juillet 2014. Après s’être déclarée indemne d’IA à déclaration obligatoire à partir du 4 septembre 2014, la République de Corée a de nouveau déclaré un foyer survenu le 24 septembre 2014, à nouveau dans un élevage de canards de chair avec une morbidité/mortalité de 5,7 %, dans l’une des sept provinces précitées.

Bien qu’ils n’aient pas fait l’objet de déclarations officielles, des virus H5N8 ont été également isolés d’oiseaux sauvages morts et apparemment sains collectés ou capturés en République de Corée. D’ailleurs, concomitamment à la survenue du foyer index, des mortalités d’une centaine de sarcelles de Baïkal (Anas formosa) avaient été observées dans la même région, à proximité du réservoir de Donglim qui constitue un site de repos pour les oiseaux migrateurs. Au total, pendant tout l’épisode coréen du premier semestre 2014, le virus H5N8 a été isolé de 38 oiseaux sauvages des espèces suivantes : sarcelle de Baikal, oie des moissons (Anser fabalis), foulque macroule (Fulicula atra), canard colvert (Anas platyrhynchos), cygne de Bewick (Cygnus columbianus), oie rieuse (Anser albifrons), sarcelle d’hiver (Anas crecca), canard de Chine (Anas zonorhyncha) (Jeong et al 2014). Les observations épidémiologiques et les données de séquençage viral suggèrent fortement que les oiseaux migrateurs ont joué un rôle majeur dans l’introduction du virus H5N8 et sa dispersion au cours du stade initial de l’épisode coréen (Jeong et al 2014).

Des études ont porté sur l’évaluation de la pathogénicité et la transmission des virus coréens en conditions expérimentales. Les résultats ont montré que ces virus ont une pathogénicité faible à modérée chez le canard domestique (abattement, signes nerveux, mortalité faible chez des canetons de deux semaines ; en cohérence avec les observations de terrain d’une clinique rare pouvant être limitée à une chute de ponte chez les canards reproducteurs) et chez le canard colvert (Kang et al 2014). Néanmoins, ces virus se multiplient très bien chez ces espèces et sont excrétés à la fois par voies respiratoire et cloacale et à des titres plus élevés que lors d’infection avec des virus H5N1 HP et infectent facilement des canards domestiques en contact (Kang et al 2014).

Perspectives

La survenue de cette souche en élevage soulève des interrogations sur le mode de contamination et le lien éventuel avec la faune sauvage, qui seront à préciser en fonction des résultats des investigations des autorités allemandes. Il apparaîtrait opportun de réaliser une analyse de risque pour évaluer la probabilité d’une dispersion du virus plus à l’ouest et si besoin de recommander un renforcement de la surveillance, en particulier des oiseaux sauvages. "En attendant l'évaluation du risque de diffusion vers l'ouest, les différents acteurs de la surveillance doivent rester sensibilisés.

Références bibliographiques

Jeong J, Kang HM, Lee EK, Song BM, Kwon YK, Kim HR, Highly pathogenic avian influenza virus (H5N8) in domestic poultry and its relationship with migratory birds in South Korea during 2014. Vet. Microbiol. 2014; 173:249–57.

Kang HM, Lee EK, Song BM, Jeong J, Choi JG, et al. Novel reassortant influenza A(H5N8) viruses among domestic and wild ducks, South Korea, 2014. Emerg Infect Dis. 2015 Feb [date cited]. http://dx.doi.org/10.3201/eid2102.141268

Lee YJ, Kang HM, Lee EK, Song BM, Jeong JS, Kwon YK, Novel reassortant influenza A(H5N8) viruses, South Korea, 2014. Emerg Infect Dis. 2014; 20:1087–92014.

 


[1] Pro med mail 6novembre 2014